lundi 11 février 2013

L'accueil des primo-arrivants. Synthèse du débat du 16 janvier et les questions qui se posent

L’une des préoccupations de la marche des migrants de la région du Centre concerne l’accueil des personnes étrangères qui viennent s’installer dans nos communes. La région wallonne élabore actuellement un « parcours d’accueil» ou « dispositif d’accueil des primo-arrivants » qui va entrer en application dans les communes dans les prochains mois (sans doute vers septembre 2013) en modifiant ainsi les pratiques variées qui existent aujourd’hui. Pour mieux cerner les enjeux et affiner nos interpellations à ce propos, certaines associations organisatrices de la marche des migrants (l’asbl CEPRé, le CeRAIC, La Braise-Culture, Le Club Achille Chavée et la Formation Léon Lesoil) ont tenu à en discuter dans le cadre d’une réunion publique le 16 janvier dernier. Nous étions une vingtaine à tenter d’y voir plus clair avec l’aide de plusieurs intervenants qui ont étudié la question sous différents angles. Reportage d'Antenne Centre ici et, ci-dessous, une synthèse des discussions et des questions qui s'en dégagent...

Anne De Vleeschouwer, du Centre Régional d’Action Interculturelle du Centre (CeRAIC), a présenté le projet de décret adopté au Parlement wallon en décembre dernier (disponible ici) et actuellement en relecture, ainsi que le projet pilote sur la « phase accueil » qu’elle coordonne pour le CeRAIC dans la région du Centre ainsi qu’à Charleroi et à Mons en collaboration avec les CRI respectifs de ces régions (CRIC et CIMB). Cette phase accueil est également testée à Liège par le CRIPEL ainsi qu’à Namur par le CAI, les Centres régionaux d’intégration de ces régions. 

Le projet de décret de la Wallonie proposé par Eliane Tillieux (ministre de l’action sociale, de la santé et de l’égalité des chances pour la Wallonie) prévoit quatre axes pour la réalisation du parcours d’accueil qui sera concrètement mis en œuvre et coordonné par les Centres Régionaux d’Intégration (CRI ; il s’agit du CeRAIC pour la région du Centre) : 1° la phase d’accueil (une information sur les droits et devoirs, un entretien d’accueil qui comprendra, entre autres, un bilan social et une aide aux démarches administratives) ; 2° une formation citoyenne ; 3° une formation à la langue française ; 4° une orientation socioprofessionnelle. Les trois derniers axes se développeront sur base volontaire et selon une convention établie avec les CRI qui donnera lieu à un entretien d’évaluation. Le premier axe (l’entretien d’accueil), tout en restant accessible sur base volontaire pour tout le monde, sera par contre obligatoire pour les étrangers non-européens avec un titre de séjour valable de plus de 3 mois, séjournant en Belgique depuis moins de trois ans et qui ne sont ni demandeurs d’asile ni réfugiés. Seront donc essentiellement concernées par l’obligation d’entretien d’accueil les personnes en regroupement familial (48% des migrants en Belgique) qui entrent aussi dans les autres critères cités ci-dessus. A titre d’exemple, pour la commune de Manage qui compte 22.500 habitants, 66 personnes étaient concernées par l’obligation d’entretien d’accueil fin d’année passée. Le Décret prévoit une amende administrative allant de 50 à 2.500 euros si ces personnes ne s’y présentent pas. 

Depuis peu donc, le CeRAIC expérimente avec certaines communes volontaires (La Louvière, Manage et Chapelle-lez-Herlaimont pour la région du Centre) un projet pilote concernant l’entretien d’accueil. Depuis le mois de juin 2012, divers outils -talons d’invitation et lettre explicative de l’entretien) ont été co-construits avec les Services population étrangères et depuis la fin du mois d’octobre 2012, les entretiens sont expérimentés sur base d’un canevas, type semi-compréhensif, harmonisé par l’ensemble des CRI de Wallonie. D’une première évaluation de ce projet pilote, il ressort que, si le public ciblé par le décret reste trop restrictif, un entretien d’accueil est utile aux personnes primo-arrivantes qui en ressortent avec des informations pertinentes et sans devoir répondre à des questions jugées intrusives. Par contre, il est difficile d’évaluer l’efficacité concrète d’un tel entretien puisqu’aucun entretien d’évaluation n’a pu encore avoir lieu. Ils auront lieu dans 5 mois sur base volontaire des personnes primo-arrivantes. Laurent Mont (attaché et conseiller au cabinet d’Eliane Tillieux) a donné une garantie orale de confidentialité des données personnelles recueillies lors de l’entretien. Les assistants sociaux qui travailleront aux espaces accueil des CRI seront tenus par le secret professionnel et ne pourront pas communiquer de données privées aux pouvoirs subsidiants. Par contre, ils seront tenus de transmettre au primo-arrivant une attestation de présence à l’entretien que celui-ci devra présenter au service population étrangère de sa commune. Pour faciliter la circulation d’information, certaines communes envisagent l’utilisation d’une base électronique. 

Annie Amoureux, du Centre bruxellois d’action interculturelle (CBAI) a ensuite situé les enjeux politiques qui sous-tendent la mise en place d’un tel parcours d’accueil. L’impulsion vient clairement d’en-haut, des institutions européennes. C’est au début des années 2000 qu’il commence à être sérieusement question de l’intégration des étrangers dans les cénacles européens. Suite aux attentats du 11 septembre, le multiculturalisme est sérieusement critiqué et considéré par certains comme un échec. Mais, d’un autre côté, plusieurs pays européens continuent à avoir besoin de main-d’œuvre étrangère pour leur économie nationale. Ainsi, dès 2004, un fonds européen pour la gestion des flux migratoires est mis en place pour, d’une part, développer le contrôle des frontières (frontex) et, d’autre part, développer des programmes d’intégration des étrangers. En Flandres, des projets-pilotes visant l’intégration des étrangers avaient déjà été lancés avant la création du fonds européen. En Wallonie et à Bruxelles, c’est surtout à partir de 2010 que des appels à projet ont été émis dans ce sens. Si de grosses sommes sont en jeu avec les budgets européens, l’application concrète dans les pays et régions est restée limitée. En effet, l’aide du fonds européen ne permet pas de financer des structures permanentes qui nécessitent un co-financement national ou régional. Ainsi, le dispositifs d’accueil prévus aujourd’hui par les régions wallonne et bruxelloise correspondent aux exigences européennes tout en se limitant au strict minimum : des entretiens de départ et d’évaluation et aucun moyen financier pour le reste. 

La région bruxelloise avait confié au CBAI la réflexion sur la concrétisation du volet « formation à la citoyenneté » du parcours d’accueil bruxellois. A l’origine, 100 heures y étaient consacrées, ce qui permettait de développer une formation interculturelle en prenant le temps de partir des conceptions culturelles des primo-arrivants et en tenant compte des éventuels mais fréquents traumatismes nés de leur exil pour leur donner des outils qui leur permettent de participer pleinement à la vie collective en Belgique. L’équipe du CBAI travaillant sur le dossier était enthousiasmée par la démarche. Mais elle a dû vite déchanter. En juin, le volume d’heures financées pour le volet « formation à la citoyenneté » a été réduit à 20h, ce qui rend impossible la concrétisation d’un véritable parcours d’accueil qui nécessite du temps pour la formation et le travail collectif. Dès juin, la « formation à la citoyenneté » a été réduite de fait à la diffusion descendante d’une information basique sur les droits et devoirs, sur ce que l’on peut faire ou pas, bref à une sorte de formatage. 

A titre personnel, certaines personnes impliquées dans ce travail, des professionnels comme des primo-arrivants issus de la formation de formateurs à la vie en Belgique, ont très vite mis en place un collectif d’individus, la « plateforme citoyenneté », pour adresser un plaidoyer aux responsables politiques bruxellois en défense du projet sur lequel ils avaient travaillé. Jihane Bayoud, membre de ce collectif, nous a présenté cette initiative. En rappelant les réalités vécues par les primo-arrivants, le plaidoyer insiste sur les trois piliers indispensables à un parcours d’accueil digne de ce nom : un apprentissage de la langue, un accompagnement individuel et une orientation à la vie en Belgique (ou une « formation à la citoyenneté »). A propos de ce dernier aspect, le collectif estime que 100 heures sont le minimum nécessaire. Il s’agit d’expliquer sans formater, ce qui implique de prendre le temps d’installer des échanges collectifs, à propos des informations pratiques (20 heures) mais surtout à propos des connaissances civiques sur l’histoire du pays, les valeurs, etc (60 à 80 heures). Le collectif rappelle que, par le passé, il n’y a eu aucune réflexion sur l’accueil des primo-arrivants. Ce manquement explique en partie les problèmes actuels rencontrés par les 2e, 3e ou 4e générations d’immigrés et entraine souvent un manque de cohérence et de coordination des services sociaux concernés. Entreprendre aujourd’hui une telle réflexion et se donner les moyens de la concrétiser pleinement est donc un investissement pour l’avenir, qui permet en outre des économies d’échelle en évitant de répéter les mêmes démarches dans plusieurs services différents. 

Dernier invité, Jojo Burnotte, du Centre d’éducation populaire André Genot (Cepag), a abordé la question sous un angle syndical. Il a rappelé que l’Union Européenne a adopté cinq directives concernant l’immigration ( « l’éloignement » et le retour volontaire, les sanctions pour travail clandestin, le permis de travail unique pour les travailleurs hautement qualifiés, …) qui traduisent clairement une politique d’immigration choisie, favorisant les intérêts économiques capitalistes plutôt que les droits des migrants. Beaucoup de migrants les plus fragiles sont ainsi rejetés de ce système et doivent recourir aux réseaux clandestins et mafieux. 

Le parcours d’accueil relève du même type de logique d’activation qui est imposée aux travailleurs sans emplois. Ce sont les primo-arrivants qui doivent prouver leur volonté et leurs démarches d’intégration, de même que ce sont les travailleurs sans emploi qui doivent prouver leur recherche active d’emploi. Ainsi, l’intégration des étrangers et l’accès au travail rémunéré ne sont pas considérés comme des responsabilités collectives qui impliquent des politiques publiques qui garantissent les droits des plus faibles, mais plutôt comme une responsabilité individuelle qui repose sur les épaules des personnes concernées. L’obligation prévue, même si elle ne concerne qu’une minorité de personnes et que la phase de l’entretien d’accueil, implique déjà une sanction administrative. Mais la porte est ouverte à d’autres types de sanctions, comme une entrave à l’accès à la nationalité dont le gouvernement vient de rendre la procédure plus compliquée que par le passé. 

A travers ces introductions bien riches et complémentaires, notre attention s’est essentiellement portée sur les questions que posent le caractère obligatoire de l’entretien d’accueil, les collusions possibles avec les politiques répressives, et les moyens mis à disposition du parcours d’accueil. 

1. Le caractère obligatoire du parcours d’accueil. 

Si elle peut apparaitre comme une bonne chose parce qu’elle permet de toucher un public qui ne se présenterait pas volontairement, l’obligation pose aussi certains problèmes et implique certains dangers. Pour l’instant, elle ne vaut que pour la phase de l’entretien d’accueil et pour un public très restreint. Il est possible que ça en reste là, étant donné que les budgets limités ne permettent pas de mettre en place davantage de structures et de personnel pour recevoir de manière obligatoire plus de monde et sur une plus longue période. 

Mais, même en l’état actuel des choses, qui dit obligation non-respectée dit sanction à la clé, ce qui implique un rabotage des droits des personnes concernées. Sachant pourtant que les primo-arrivants connaissent souvent des problèmes financiers, le parcours d’accueil prévoit déjà une amende allant de 50 à 2.500 euros au cas où une personne convoquée ne se présente pas à l’entretien d’accueil. Et le durcissement des politiques concernant les étrangers fait craindre que les sanctions s’élargissent encore à l’avenir, par exemple à travers une restriction supplémentaire à l’accès à la nationalité. 

De plus, rien n’exclut une possibilité d’extension de cette obligation à d’autres exigences que la participation à un entretien d’accueil, quitte à ce qu’aucun dispositif supplémentaire ne soit mis en place pour permettre aux personnes de répondre à ces nouvelles exigences. C’est ce qu’il se passe déjà, par exemple au CPAS de Verviers qui impose à ses bénéficiaires étrangers de suivre des cours de français pour percevoir leurs allocations. Par ailleurs, nous constatons que, depuis 2004, les dispositifs de contrôle et d’accompagnement des chômeurs ne font que s’intensifier et les exclusions du droit aux allocations de chômage se multiplier. Même si rien de tel n’est prévu pour l’instant, les conventions facultatives proposées par les CRI -par similitude aux contrats de recherche d’emploi « proposés » lors des contrôles de l’Onem qui, eux, impliquent des sanctions- peuvent laisser craindre une telle évolution. 

L’articulation obligation-sanction s’inscrivant dans la logique d’activation-responsabilisation individuelle qui stigmatise celles et ceux qui ne correspondent pas aux exigences du marché de l’emploi, des liens sont à faire entre les luttes pour les droits des étrangers et celles pour les droits des travailleurs sans emploi qui souffrent de la même logique depuis plusieurs années. La marche des migrants peut être l’occasion de créer ces connections, tant à travers la mobilisation du 20 avril et les rencontres qui s’y organiseront qu’à travers une mobilisation à plus long terme autour de revendications communes et solidaires. 

2. Les collusions possibles avec les politiques répressives. 

Les dernières mesures fédérales en matière de politiques migratoires imposent aux communes une plus grande participation à la répression des migrants. Les administrations communales sont tenues de fournir à l’Office des Etrangers des informations sur les personnes qui ont reçu un ordre de quitter le territoire en vue d’assurer l’effectivité des départs. Dans ce contexte, nous nous inquiétons de la destination des données personnelles recueillies lors de l’entretien d’accueil, notamment dans le cadre du bilan social, bien que l’attaché du cabinet d’Eliane Tillieux ait donné une garantie orale de confidentialité à cet égard envers les pouvoirs subsidiants. Mais comment s’assurer que les services chargés de l’entretien d’accueil ne seront pas, tôt ou tard, sollicités pour fournir un maximum d’informations qui permette de retrouver une personne dont l’ordre de quitter le territoire a expiré pour pouvoir l’arrêter et l’expulser ? Il y a là un risque qu’un dispositif public censé aider les personnes étrangères se retourne finalement contre elles en facilitant l’exécution de politiques migratoires qui, comme le dénoncent depuis longtemps leurs opposants, fonctionnent dans l’arbitraire et le déni des droits fondamentaux des migrants. 

La collusion entre les dispositifs d’accueil et les aspects des dispositifs répressifs à mettre en œuvre dans les communes nous incitent à un maximum de vigilance pour veiller à ce que nos services publics communaux ne se transforment pas en piège pour les étrangers. C’est dans ce sens qu’une interpellation des bourgmestres de la Communauté Urbaine du Centre est en cours d’élaboration, à l’initiative de plusieurs composantes de la marche des migrants, en vue d’attirer leur attention sur ces dangers et de tenter de lancer un comité de vigilance citoyenne pour prévenir ou dénoncer les problèmes en la matière. 

3. Les moyens à disposition du parcours d’accueil. 

Les budgets prévus sont nettement insuffisants pour donner aux primo-arrivants des outils qui leur permettent de participer pleinement à la vie collective en Belgique. Dans les conditions du projet de décret, il est impossible de faire autre chose que de l’information descendante et du formatage sur les « droits et devoirs ». Certes, cela reste utile pour aider les primo-arrivants à s’orienter quant au fonctionnement de la société belge et de ses institutions. Mais, comme le souligne le Collectif Citoyenneté, loin de se résumer à un entretien d’accueil individuel de quelques heures un accueil digne de ce nom implique au contraire de prendre le temps et les moyens nécessaires à une formation interculturelle - à destination de tous les citoyens de quelle qu’origine qu’ils soient - et un travail collectif, basé sur les réalités et les besoins des primo-arrivants. 

S’il s’avère que les moyens manquent pour développer les nécessaires formations collectives à la citoyenneté à l’attention des primo-arrivants, il est alors indispensable d’assurer la formation adéquate et la coordination des professionnels en contact avec ce public. 

Sur base du débat du 16 janvier, nous disposons désormais de quelques pistes que nous continuerons à creuser pour développer l’interpellation que nous adresserons aux responsables politiques de nos communes dans le cadre de la marche des migrants. Si cet exercice vous intéresse, n’hésitez pas à nous rejoindre (infos à 064/23.72.90). 

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