jeudi 4 avril 2013

Ca se passe près de chez vous. Saïd, Manage…

Suite à son arrestation dans la maison communale de Manage où, sur les conseils du Bourgmestre, il venait demander des informations sur une procédure de régularisation qu’il souhaitait entamer, Saïd, résidant à Manage depuis deux ans et demi, a subitement été expulsé le 1er octobre dernier vers le Maroc, son pays d’origine où il n'a plus de famille, avec une interdiction de retour sur le territoire européen pendant trois ans. 


En apprenant son arrestation, ses collègues de formation de Lire & Ecrire ont immédiatement contacté sa famille pour s’informer de la situation dans la perspective de se mobiliser en faveur de sa libération. L’asbl CEPRé s’est également jointe à la démarche. Choqués par cette procédure très rapide et brutale initiée par la commune de Manage, nous avons sollicité fin novembre une rencontre avec le Bourgmestre, Pascal Hoyaux (PS) et les responsables de service concernés pour entendre leur point de vue et pour discuter des dispositions concrètes qui sont à entreprendre afin que la priorité des services communaux soit de permettre à l’ensemble des citoyens de faire pleinement valoir leurs droits en les considérant comme des êtres humains et non comme de simples dossiers administratifs. 


Nous n’avons jamais obtenu de réponse du Bourgmestre lui-même. C’est finalement le Premier échevin et Officier d’Etat civil qui nous a reçus le 7 mars, en compagnie du responsable du service population, de la chef de poste de la police locale de Manage et d’une employée du service des étrangers. Feed-back…

Saïd est entré en Belgique le 12 avril 2010 avec un visa touristique de trois mois. Il vivait depuis avec son frère et sa mère malade, tous deux Belges. Désireux de régulariser sa situation, il s’est renseigné sur la procédure à suivre, entre autres par l’intermédiaire de sa compagne qui a contacté le bourgmestre de Manage, Pascal Hoyaux à ce propos via facebook. Ce dernier lui a conseillé de se rendre au guichet du service des étrangers. Saïd s’y est donc rendu de lui-même le 18 septembre. 

Mais, sur place, bien qu’il n’y ait aucune base juridique pour justifier la saisie d’un document d’identité par une employée communale, cette dernière lui a confisqué son passeport pour le transmettre à la police de Manage pour vérification d’identité, alors qu’elle aurait pu simplement se limiter à lui fournir les informations qu’il demandait ou à l’orienter vers une organisation du secteur associatif compétente en la matière. 

Malgré la bonne foi dont Saïd a fait preuve du fait même de sa présentation spontanée à la commune, et malgré le fait que, bien qu’il soit en séjour irrégulier en Belgique, il n’avait jamais reçu d’ordre de quitter le territoire, la police de Manage l’a auditionné et maintenu en détention administrative pendant 7h, jusqu’à la réception de la décision de l’Office des Etrangers: un ordre de quitter le territoire assortie d’une interdiction d’entrée en Belgique pendant trois ans et un maintien en vue d’éloignement. 

Il arrive souvent que l’Office des étrangers dispose de rapports incomplets de la part des agents de police chargés de l’audition de personnes en situation irrégulière, ce qui influe généralement en défaveur de ces dernières. Nous ne disposons pas du rapport d’audition rédigé par la police de Manage. Cependant, nous nous interrogeons sur ce qui a conduit l’Office des Etrangers à spécifier dans sa décision d’ordre de quitter le territoire que Saïd «refuse manifestement de mettre un terme à sa situation illégale», qu’il «n’a pas d’adresse officielle en Belgique» et qu’il y a «un risque de fuite». En outre, pendant son audition, nous savons que la police n’a pas laissé à Saïd la possibilité d’être assisté par une tierce personne. Or, Saïd était en apprentissage à Lire & Ecrire pour une faible maîtrise de la langue française et des difficultés de lecture et d’écriture qui compliquent sa bonne compréhension des documents écrits et ses capacités à s’exprimer clairement sur sa situation administrative et les démarches entreprises ou envisagées. 

Après son audition, Saïd a passé la nuit au poste de police. Il a ensuite été transféré au centre fermé de Bruges où, très vite, il y a eu une première tentative d’expulsion qu’il a refusée. Une avocate a tenté un recours d'urgence qui a échoué. Saïd ne souhaitant pas que nous essayions d'empêcher l'expulsion par crainte que les prochaines tentatives ne soient encore plus violentes, les apprenants de Lire & Ecrire ont simplement adressé une lettre de soutien à leur collègue et se sont cotisés pour qu'il ait un minimum de quoi vivre à son retour au Maroc. Mais nous avons aussi décidé ensemble de réagir en interpellant le bourgmestre. 

En effet, ces méthodes nous ont profondément choqués. Si la décision d’ordre de quitter le territoire incombe à l’Office des étrangers et n’est donc pas du ressort des autorités communales, l’audition préalable, la détention administrative et le devoir d’information incombent à la police et à l’administration communale, qui sont sous l’autorité du Bourgmestre d’autant que, comme c’est le cas ici, il ne s’agit pas d’une affaire judiciaire. De plus, si les services communaux sont tenus de fournir certains renseignements à l’Office des étrangers, ils ne sont pas (encore) obligés d’enclencher une procédure d’arrestation et d’enferment en centre fermé en vue d’une expulsion. D’autres méthodes sont possibles, qui laissent aux citoyens étrangers la possibilité de se retourner. 

Si, dans la région, il existe des associations compétentes en matière d’information au public sur les droits des étrangers, les services communaux sont bien sûr eux aussi habilités à fournir des renseignements sur les démarches à entreprendre pour obtenir la nationalité belge ou en vue d’une régularisation de séjour. Mais, dans ce cas, il est nécessaire de garantir que les citoyens puissent s’y présenter sans risque pour bénéficier, comme tous les habitants, des conseils de ce service public. En l’occurrence, il s’avère que cette condition n’est pas remplie. En outre, nous nous inquiétons du fait que les services de police sont situés dans le même bâtiment que le service des étrangers. Selon l’Officier d’Etat civil lui-même, il arrive ainsi que la police procède de son propre chef à l’interpellation et au contrôle de personnes étrangères directement dans la salle d’attente de l’administration communale. Cela implique que les personnes étrangères n’ont pas en toute confiance et en toute sécurité accès aux services publics communaux pour obtenir des informations sur leurs droits. 

Le surlendemain de notre demande de rendez-vous au Bourgmestre, nous avons reçu une réponse par mail disant que nous devions nous tromper de commune et nous conseillant de ne pas prendre pour argent comptant ce qui nous est rapporté (sic !). Par téléphone, la secrétaire communale nous a orienté vers Bruno Pozzoni, Premier échevin (PS) et Officier d’Etat civil qui, à notre demande, a pris des renseignements. Nous avons aussi repris contact, d’une part, avec la famille de Saïd pour confirmer et étayer les informations dont nous disposions et, d’autre part, avec des associations ou collectifs de défense des droits des migrants pour solliciter leurs avis. Après avoir recueilli davantage de précisions sur les conditions d’arrestation de Saïd, nous avons, fin janvier, ré-écrit au Bourgmestre pour solliciter à nouveau un rendez-vous. 

Nous avons alors formulé des interpellations claires que nous souhaitions discuter avec le Bourgmestre et les chefs de service compétents: 

* Quelle était la nécessité de vérifier l’identité d’une personne qui se présente pour une demande d’informations, d’autant plus que cette démarche n’est pas systématique à l’égard de tous les citoyens qui sollicitent de cette manière l’administration communale ? 

* Pourquoi avoir décidé un maintien en détention administrative et avoir prévenu l’Office des Etrangers avec de gros risques d’aboutir à la délivrance d’un ordre de quitter le territoire ? Certes, c’est conforme aux exigences des politiques répressives fédérales. Mais il y avait pourtant d’autres solutions plus humaines à envisager avant de les appliquer à la lettre. Pourquoi la police communale, n’a-t-elle pas tout tenté pour protéger Saïd d’une éventuelle expulsion, par exemple en lui fournissant les informations qui lui permettent, selon son souhait très clair, de tenter une régularisation de la situation ? 

* Alors que rien ne l’interdit, pourquoi la police de Manage n’a-t-elle pas permis à Saïd d’obtenir l’assistance d’une tierce personne compétente pour assurer une bonne compréhension, une communication complète des informations utiles et une pleine jouissance de ses droits ? 

* Saïd ne s’est vu à aucun moment proposer la possibilité de retour volontaire. Pourquoi ni le service des étrangers ni la police ne s’en est chargé comme l’encourage pourtant la politique fédérale en la matière à travers la circulaire du 10/06/2011 ? Si le résultat reste le même (le retour de Saïd dans son pays d’origine), la méthode est en tout cas moins brutale qu’un enfermement en vue d’une expulsion forcée. 

* Dans son rapport d’audition, la police de Manage a-t-elle bien mentionné l’ensemble des éléments favorables à Saïd, au minimum ceux pour lesquels elle avait facilement connaissance? Comme le fait qu’il se soit présenté volontairement à la commune pour entamer des démarches en vue d’une régularisation de séjour et qu’il ait une adresse connue de l’administration communale de Manage (celle qui figure sur son attestation d’arrivée délivrée par la commune en 2010 et celle où il a déclaré de lui-même résider aujourd’hui). Dans le cas contraire, qu’est-ce qui a empêché la police de mentionner ces éléments pourtant essentiels? 

A nouveau, nous n’avons reçu aucune réponse de la part du Bourgmestre à notre deuxième demande de rendez-vous. Par téléphone, la secrétaire communale nous orientait systématiquement vers Bruno Pozzoni qui, finalement, sur notre insistance, a accepté de nous recevoir, le 7 mars, en compagnie de Jean-Claude Pietroons (responsable du service population), de Sabrina Hertverd (chef du poste de police local de Manage) ainsi que de Madame Denis (employée au service des étrangers). Notre délégation se composait de sept personnes, collègues de Saïd à Lire & Ecrire ou membres de l’asbl CEPRé. 

Nous avons d’abord expliqué notre démarche. Ensuite, nos hôtes ont entamé la discussion… sur le comportement de Saïd. Ils ont affirmé que celui-ci était bien connu de leurs services puisqu’il s’était plusieurs fois présenté à l’administration communale, disposait déjà des informations nécessaires pour entamer une procédure de régularisation et avait en outre plusieurs auditions à son actif, en ayant reçu la visite de la police à son domicile à plusieurs reprises. Par conséquent, la procédure d’identification, avec information à l’Office des étrangers, n’a pas été entamée dès la première visite de Saïd qui aurait, selon eux, dû savoir que, en constatant sa situation d’infraction sur le territoire, les autorités communales ont le devoir d’en informer l’Office des étrangers. Point barre. 

Nous avons alors interpellé le Premier échevin qui, avec le mandat qui lui a été conféré, a la possibilité de prendre une position politique sur les procédures que l’administration communale applique. Si Bruno Pozzoni a reconnu certaines absurdités du système, comme celles liés à la réforme du regroupement familial par mariage, desquelles découlent des situations acrobatiques pour les communes, il a néanmoins insisté sur son devoir de réserve étant donné l’existence des différents niveaux de pouvoir en Belgique. Son métier se limite selon lui au niveau communal et il ne souhaite pas se tromper de niveau en intervenant sur des matières fédérales ou en se mettant en marge des procédures… ce qui a au moins le mérite d’être clair. 

Etant donné le silence assourdissant de Pascal Hoyaux, l’assurance des services communaux d’être droits dans leur bottes et la clarification de Bruno Pozzoni quant au rôle politique qu’il estime être le sien, cette expérience à la commune de Manage démontre -si besoin était- qu’il nous faudra encore du temps et des efforts. Dans l’état actuel des choses, il n’y a, dans le chef des responsables de la commune de Manage, aucune volonté de contester la politique migratoire actuelle ni même d’essayer de chercher des solutions pour en limiter au maximum l’impact sur nos concitoyens étrangers. 

Mais nous ne lâcherons pas l’affaire parce que, si les modalités varient, le cas de Saïd, qui se retrouve du jour au lendemain en centre fermé en vue d’une expulsion, n’est malheureusement pas isolé. Constatant le durcissement des politiques fédérales d’asile et d’immigration avec, notamment, un durcissement répressif dans l’exécution des ordres de quitter le territoire, nous comptons interpeller publiquement, et à chaque fois que cela sera nécessaire, les bourgmestres de la Communauté Urbaine du Centre. Nous continuerons à faire ce que nous avons fait pour Saïd, en maintenant une vigilance citoyenne pour dénoncer publiquement tout excès de zèle de la part des administrations et polices communales de la région et pour les amener, tout comme les mandataires politiques, à adopter une attitude plus solidaire (voir notre cahier de revendication ici).

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