vendredi 31 mai 2013

Compte-rendu du débat autour des violences conjugales avec, entre autres, le collectif ESPER (Epouses Sans Papiers En Résistance)

En Belgique et dans le monde, les violences conjugales détruisent la vie de milliers de femmes. Trop souvent dans le silence et l'oubli (pour plus d'infos sur l'état de la lutte contre ces violences en Belgique, voir le rapport d'Amnesty International publié en février 2012 via ce lien). Pour celles qui n'ont pas de papiers ou sont en séjour précaire, la situation est encore plus dramatique: comment s'en sortir quand son intégrité physique et psychologique est mise en balance avec son droit de séjour? 

Parce qu'il ne s'agit pas que d'un problème de femmes, parce que, sans lutter contre les violences envers toutes les femmes, il est inutile d'espérer une société égalitaire, nous en avons parlé le mardi 28 mai, avec des travailleuses du secteur de la lutte contre les violences conjugales ainsi que des femmes debout, courageuses résistantes qui montrent l'exemple dans la lutte pour la dignité et l'égalité des droits. Compte-rendu, suivi d'un témoignage...

Ce débat était l’occasion d’aborder un thème dont on parle peu alors qu’il peut avoir des impacts sur l’entièreté de la sphère familiale. Cette rencontre était également un moyen de sensibiliser sur la situation des femmes étrangères qui risquent de perdre leurs droits lorsqu’elles sont victimes de violences. Mais force est de constater que peu de gens ont répondu présents à l’invitation. Le sujet reste tabou, il dérange.

Revenons quelques instants sur la définition des violences conjugales, elles peuvent avoir plusieurs formes :

Ø Psychologique. Elle porte atteinte à l’intégrité psychique ou mentale de l’autre. Ces violences s’attaquent directement à l’identité, l’estime de soi et la confiance en soi de la personne qui les subit. La violence psychologique peut prendre la forme de dénigrement, d'humiliation, d'isolement, de contrôle, de jalousie excessive, de manipulation, de négligence, de menaces.

Ø Verbale. L’auteur utilise sa voix comme une arme. Elle se présente sous la forme d’insultes et de cris.

Ø Physique. La violence physique concerne l’ensemble des atteintes physiques au corps de l’autre. Elle permet à l’auteur d’affirmer son pouvoir en créant un climat de peur chez la victime qui sera contrainte d’adopter des attitudes de soumission. Il peut s’agir de la destruction d’objets, de bousculades, d’immobilisations forcées, de gifles, de coups, de séquestrations, de morsures, de griffes, de tentatives d’étranglement…. les violences peuvent aller jusqu’à l’homicide.

Ø Sexuelle. Elle consiste à imposer son désir sexuel à l’autre. La violence sexuelle fait référence aux rapports sexuels forcés, à la prostitution, aux pratiques sexuelles non-souhaitées….

Ø Economique. Ce type de violence a pour objet de maintenir le/la partenaire dans un isolement en contrôlant ses dépenses, en l’empêchant de travailler ou de se former. Ces violences créent une dépendance financière/matérielle envers l’auteur.

Ø Administrative. Elle consiste à priver la personne de documents administratifs comme par exemple sa pièce d’identité, son passeport…

La violence conjugale se distingue des autres formes de violence. Il s’agit d’une violence présente dans une relation inégalitaire où l’un des partenaires trouve un moyen de contrôler l’autre en employant des stratégies dans un but d’emprise. La violence est dirigée de façon répétitive vers la même personne. Elle s’exprime de manière permanente et pas seulement pendant les temps de crise. Autrement dit, la violence conjugale se caractérise par la répétition et l’asymétrie de la relation de couple. La violence conjugale se distingue du conflit.

Cette soirée fut l’occasion de retracer l’historique du collectif solidarité femmes et d’expliquer en quoi consiste l’aide aux femmes victimes de violences.

Une femme nous confie que sortir de l’emprise de son époux fut très difficile. Elle a eu peu d’écoute de la part de la police, on minimisait son histoire et ses plaintes ne sont pas toujours prises en compte. La situation reste conflictuelle car elle est amenée à voir régulièrement son ex mari avec lequel elle a une garde conjointe de leur enfant.

D’autres témoignages sont donnés, notamment ceux des travailleurs sociaux qui œuvrent dans les centres d’accueil…
En ce qui concerne les femmes étrangères victimes de violences, la problématique est encore plus difficile à gérer. En effet, le droit à rester sur le territoire est conditionné par le maintien du mariage et ce pour une période de trois ans. Les femmes qui doivent quitter le domicile sont très vite plongées dans une situation d’illégalité qui n’est pas reconnue par l’office des étrangers. De plus, elles n’ont pas droit à un revenu d’intégration.

Cette situation est extrêmement difficile pour les travailleuses qui n’ont pas le temps ni les infrastructures nécessaires pour aider toutes les femmes victimes de violences mais qui doivent tout de suite les avertir des dangers de leur situation de non-droit (expulsion).

Les femmes du collectif ESPER prennent la parole. Elles sont venues légalement en Belgique, par regroupement familial et risquent de perdre leur titre de séjour. Elles nous confient avoir le sentiment d’être doublement victimes de violences : de la part de leur époux mais également de la part du système. D’autant que nombre d’entre elles ne peuvent rester en refuge faute de revenus. Yamina Zaazaa du Centre de Prévention contre les violences conjugales, nous confie alors se souvenir d’une dame qui a dû partir du centre et dont elle n’a plus jamais eu de nouvelles. Qu’est-elle devenue ? Est-elle retournée auprès de son mari violent ? A-t-elle été expulsée ?

Autant de réalités difficilement soutenables et pourtant, on en parle peu.

Les femmes du collectif ESPER ne sont pas là uniquement pour témoigner, leur groupe, fort d’une trentaine de membres, porte des revendications précises dont entre autres :
- Une acceptation de la notion de violence qui soit identique à celle admise pour les autres femmes
- L’accès à un refuge quelle que soit la situation administrative
- Une suspension systématique du retrait de séjour lorsque des faits de violence sont attestés par des agents de proximité
- L’envoi du courrier officiel à une adresse de contact choisie par la victime
- L’envoi systématique d’un courrier avertissant la femme d’un risque de retrait du séjour et une possibilité de fournir les preuves nécessaires au maintien de sa carte
- Une meilleure formation, information et coordination des acteurs de proximité (police, justice, centres d’accueil…)
- L’octroi d’un séjour temporaire indépendant du mari à partir du moment où les preuves de violence sont admises
- ...

Les revendications du collectif et quelques coupures de presse sont accessibles via ce lien.

Si le point important est avant tout de déculpabiliser les victimes, il nous semble essentiel de lier toutes les problématiques: la lutte contre les violences ne peut se faire sans une régularisation. Il faut également donner plus de moyens aux structures d’accueil qui ne se verront dès lors plus dans l’obligation de devoir renvoyer des femmes sans revenus.

Remerciements : Mireille Bertiaux, permanente sociale de l’ASBL solidarité femmes ; Anne Theisen du collectif ESPER (Epouses Sang Papiers En Résistance) ; Yamina Zaazaa du Centre de Prévention contre les violences conjugales ; Ibrahim Chaudary ; les membres des différents collectifs présents.

Mano Henquinet

Témoignage d'une femme qui a pu être accueillie par le refuge de La Louvière


En mai 2006, mon ex mari et moi avons fait connaissance par internet. Quelques jours après, il est venu au Maroc pour me rencontrer. Après avoir échangé idées et motivations, il m’a déclaré son amour et son intention de me demander en mariage. Il est revenu une fois en août passer des vacances et une autre fois en octobre : il a alors demandé ma main à mes parents.

J’ai débarqué en Belgique le 02 décembre 2006, et notre mariage a eu lieu le 27 janvier 2007. Une semaine plus tard, l’enfer a commencé. Son comportement a complètement changé, ses regards méprisants, propos injurieux, des insinuations blessantes et des moqueries à mon égard. Une véritable guerre psychologique contre moi afin que je craque, cède et que je prenne l’avion pour rentrer au Maroc, jetée tel un kleenex. Il a utilisé l’humiliation, la bouderie, l’isolement et la privation. Il m’a imposé la séparation de corps, chacun dans une chambre et m’a obligée à signer des reçus de toutes les sommes d’argent que j’ai reçues de sa part. Il a refusé de m’accorder un peu de temps pour suivre une formation ou trouver un boulot digne. Il voulait que je m’assume le plus vite possible financièrement donc il m’imprimait des offres d’emploi comme « serveuse dans des bars vitrines ». Quand j’ai refusé, il m’a dit clairement «cherche quelqu’un d’autre pour t’assumer financièrement et fous moi la paix». Il m’a déclaré qu’il était resté très attaché à son ex-femme et qu’il souhaitait la voir revenir… 

Le matin du 09 mai 2007, alors qu’il s’apprêtait à quitter le domicile, je lui ai demandé de pouvoir communiquer avec mes parents via internet, seul moyen pour moi d’échapper à la solitude. Il a refusé et m’a poussée violemment contre le mur pour lui libérer le chemin. Je l’ai retenu et il m’a repoussée encore, j’ai chuté. Il m’a trainée en pyjama sur plusieurs mètres. La police n’étant pas loin du domicile, plusieurs agents ont entendu mes cris et sont intervenus. L’inspecteur de l’aide aux victimes m’a transférée vers le refuge pour femmes battues. 


Quelques jours après mon départ de la maison j’ai reçu l’ordre de quitter le territoire. Je voyais ma vie se briser à jamais car je ne pouvais pas retourner au Maroc avec un si grand échec sur les épaules, affronter les traditions, les tabous et la famille. L’office des étrangers ne voulait pas considérer ma situation et les circonstances dans lesquelles j’ai dû quitter la maison. 

Je suis restée un peu plus de 4 ans dans ce refuge, désespérée par la longueur des procédures, le manque de moyens, les regards des femmes me voyant toujours là année après année. La peur que mes démarches n’aboutissent à rien et que je sois expulsée d’un moment à l’autre. Je ne pouvais pas travailler car je n’avais ni titre de séjour, ni permis de travail. En octobre 2011 la situation s’est débloquée et l’office des étrangers m’a octroyé le titre de séjour sur base de l’art. 9 bis.

En février 2012, j’ai intégré mon appartement et j’ai travaillé pendant un an comme agent d’accueil.

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